Zéro, heure zéro, Christophe Clivaz

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Carnet de voyages

 

Partir vers ailleurs, se laisser guider par l’instinct ou le non-instinct, se diriger droit devant sans appréhension, les yeux fermés, et les rouvrir pour surprendre, avec euphorie, d’improbables paysages, se remplir le nez d’odeurs nouvelles, tendre l’oreille aux bruits inconnus, croiser des visages de tous horizons, telle est l’invitation de Christophe Clivaz à travers son carnet de voyage, « Zéro heure zéro ».

 

Entre le Valais, Sion où il s’engouffre dans un train « qui n’existe plus », et le Grand Nord, Copenhague, fin « d’une échappée belle » qui heureusement pour nous ne se « termine pas en laide queue de poisson », l’auteur nous emmène avec lui dans un panel étourdissant de découvertes.

 

Sur les pages de son journal, il couche des sentiments joliment mêlés de poésie, nous emberlificote les méninges à coup d’expressions rallongées à sa sauce, fait danser les mots pour décrire chaque coin déniché. Il se glisse au cœur des panoramas, se fond dans le vent, l’eau, l’air, pour comprendre les lieux, les gens et les dieux. Les yeux grands ouverts, il voit tout, raconte tout : mers, rivières et lacs, montagnes et plaines, villes et villages, monuments, édifices, statues…

 

Si d’aventure, comme moi, vous n’êtes pas de celles ou de ceux qui rêvent de « partir chercher le vent et prendre l’air », il vous suffira de vous laisser emporter par ce récit au style parfois reposant, parfois plus remuant, mais toujours plein de légèreté. Sa lecture sera votre voyage, comme il a été le mien.
Recension Marylène Rittiner

 

 

Extrait p. 9-11

 

Tôt, trop tôt pour un samedi, mais la hâte de battre le chemin de fer maintenant qu’il est chaud me bouscule et me démange. Dix-neuf ans sans brûlure ni vertige, c’est assez.

 

A quai, senteurs de ferraille envoûtantes : l’ivresse du départ ne me fera pas tourner la tête et regarder derrière. Je ne pars malheureusement qu’un mois. Mais au moins je pars. Trente kilos de bagages sur le dos, une carte de l’Europe du Nord dans une main, un plein d’enthousiasme dans l’autre, une technologie embarquée se résumant à un appareil photo reflex, un walkman antédiluvien, une tente riquiqui, un sac de couchage et juste ce qu’il faut d’inconscience pour se lancer.

 

Le sablier s’écoule, mes premières minutes rien qu’à moi se dissolvent dans la brume matinale. Mon train est en retard. Je n’aime pas être en retard sur mes rêves. A Lausanne, je n’aurai que dix minutes pour changer de ligne.

 

Je m’en vais au Nord. Tout au nord. Parce que personne n’y va. Parce que c’est beau. Parce que c’est loin. Que c’est différent. Parce que le soleil y brille la nuit et que les filles sont belles et peut-être même gentilles.

 

Une bourrasque entre en gare. Une locomotive pleine de promesses et des wagons pleins d’espoir ralentissent pour m’enlever. Les portes s’ouvrent et je gravis les trois marches qui me font faire le premier pas vers autre part. Rapt. Je m’en vais pour de vrai !

 

Mes repères, mes marques et points d’appui rétrécissent pour disparaître au coin de la baie vitrée. J’habite enfin l’instant, celui qui prend toute la place. Me voilà artisan de ma propre réalité, même si le contrôleur m’informe que mon billet n’est pas valable.