Caroline Mauron nous entraîne au détour de récits de vie dans les méandres les plus vils de l’esprit humain. Ces 10 témoins nous relatent leur souffrance, leur honte, leur secret passés sous silence tant d’années.
Au fur et à mesure de la lecture, on vient à se poser la question du « comment peut-on arriver à violer un enfant ou un adolescent ? »
Certes si l’on en croit la définition exacte du mot viol, il n’y aurait viol que lorsqu’il y a « pénétration vaginale par un pénis ». Mais lorsqu’il s’agit d’un enfant (fille ou garçon) d’à peine 6, 8 ou 10 ans, peut-on ne parler que d’abus ou d’inceste, même sans pénétration ? N’y a-t-il pas viol ? Viol de l’enfance, de la personnalité en devenir, de sa vie future ?
On se demandera aussi si parler soulage vraiment. Chaque être est différent, il est vrai que pour certains, le fait de dire ce qui est arrivé les délivre. Mais pour d’autres c’est vivre une seconde fois cette douleur, cette honte, infligée par un frère, des parents, un cousin, un voisin, un parrain, etc. Mais est-ce les victimes qui doivent subir cette honte ? N’ont-elles pas assez subi ? Comment déposer plainte et se confier à une tierce personne comme un policier, même du même sexe, alors qu’elles se demandent si on les prendra au sérieux, déjà au niveau de la famille ?
Enfin si elles sont rejetées par leur propre famille, comment survivre, aller de l’avant, faire « comme si de rien n’était » si longtemps, et enfin se reconstruire. Sans doute, serons-nous horrifiés et scandalisés par tant cruauté.
Mais il y a là encore certaines victimes qui trouveront une résilience hors du commun pour se relever et vivre comme tout un chacun. En tout cas, que les victimes choisissent ou non de déposer plainte, nous devons à tous égards nous interdire de les juger.
Caroline Mauron nous aide également à nous mettre à la place de parents qui n’ont vu que du feu à l’affaire. Comment traduire les signes laissés par un enfant blesser ? Faut-il penser immédiatement au pire ? L’enfant exprime-t-il exactement ce qu’il s’est passé, surtout lorsqu’il s’agit du père ? Et nous avons-nous le droit de juger ce conjoint qui refuse par honte ce qui dépasse l’entendement ? N’est-ce pas là un tsunami qui déferle dans le cercle familial ?
À aucun moment l’on ne peut rester de marbre face aux mots qui nous sautent au visage. Même si la douleur nous fait couler des larmes de compassions on ira jusqu’au bout de ces récits de vie.
Extraits des pages 20-21-22, 46-47, 149
J’ai été violée par un adolescent que je connaissais depuis toujours. Nous avions été voisins. Mon frère a son âge et sa sœur le mien. Nous passions beaucoup de temps ensemble tous les quatre… … La jeune femme peine aujourd’hui à situer l’évènement dans le temps. Il me semble que c’était l’automne. J’effectuais ma troisième primaire, car c’est le seul moment de ma scolarité où mes notes ont chuté. Tout le reste demeure flou, cadenassé sous une chape de colère qui surgit à son insu, les jours suivant l’évènement. Hystérique, je claquais les portes et m’emportais comme jamais. Certains aliments à l’aspect évocateur tels que les pâtes me dégoûtaient au point de ne plus pouvoir les avaler. Pourtant personne ne semble prendre conscience du problème sous-jacent. Ma mère me traitait de gourmande sans chercher pus loin. Elle rêve de serpents. ET de fuite aussi, sans pouvoir avancer ! Ses cris alertent fréquemment les parents. Ne se rendent-ils vraiment compte de rien ?...
… Selon elle tout remonte à l’adolescence, époque à laquelle elle obtient la permission de sortir en bande, au village. Elle se rapproche alors particulièrement de sa cousine. Le frère de cette dernière fait partie du même groupe. Son regard vicieux posé en permanence sur elle la met mal à l’aise. Elle ne sait comment l’interpréter. À mille lieues d’imaginer les idées perverses du jeune homme, Céleste commence à aller dormir chez eux… … Un soir, je rentrais à vélomoteur. Il m’arrête en affirmant qu’il m’aura de toute façon jusqu’au bout, une fois où l’autre. Comme je lui rappelle notre lien de parenté, il rétorque que moi ou une autre, il faut bien qu’il assouvisse ses envies…
… Et après Qu’il s’agisse de viol, d’agression ou de harcèlement, les témoignages de ce recueil prouvent combien il est difficile de vivre normalement lorsque l’enfance ou l’adolescence a été bafouée, lorsqu’un acte déshumanisant a sali l’intime au plus profond. Malgré les stigmates, la plupart de ces femmes se sont relevées. Toutes n’ont cependant pas encore surmonté complètement le trauma…