Extrait
Morte de faim
D’abord, il y a le croissant du collègue que tu refuses d’un sourire de bouche fermée dans laquelle il est absolument hors de question que tu fourres de la pâte feuilletée beurrée à outrance. Puis, la branche de chocolat des quatre heures dont tu te prives. Et le dessert que tu ne prends plus. Là, ça va encore. Mais dans ton miroir, l’image ne change pas. La Gol¬den est encore bien trop molle en vérité et tu distin¬gues toujours de la glaise sur tes cuisses. Si d’aven¬ture tu la voyais mal, une simple pression entre tes doigts suffirait à révéler l’aspect capitonné. Aussi¬tôt, ça te fait penser à cette blague : « Pourquoi les filles ont une odeur sucrée ? Ben à cause de la peau d’orange. » Mais tu ne trouves pas la chute drôle. Pas drôle du tout. Au contraire, on dirait même que ça te blesse un peu à l’intérieur. Donc tu élimines le reste des « P », ces salauds de « P » qui te font du Pied et qui transforment ton Popotin en Popotam. Pain, Pâtes, Patate, Pâtisseries. Les résolutions sportives tombent à l’eau, ton temps tout entier est occupé à compter les calories sur les sachets de salade préla¬vée Betty Bossy.
Morte de peur
Quand il est rentré, Papa avait une surprise pour moi. J’ai pas osé tout de suite toucher la boîte parce qu’il avait les mains dessus, mais j’étais curieuse de voir dedans, à cause du bruit qui sortait du car¬ton. J’ai regardé Maman et elle a cligné des cils en m’encourageant à y aller. Papa souriait de tout son visage. Il ne sentait pas fort comme les fois où c’est mieux de se cacher. J’ai marché vers lui et il a posé le cadeau par terre. À l’intérieur, y avait un mini chaton trop mignon avec des poils blancs un peu beige. Il a miaulé dès qu’il m’a vue. Ça m’a chatouillé le ventre, j’avais envie de coller ma main partout contre les murs pour dessiner des coeurs. Sauf que je me suis retenue, car aussitôt qu’il a eu les bras vides, Papa a demandé une bière à Maman. Après il m’a dit : « Essaie de lui donner un nom qui ne soit pas complètement crétin. Et tu nettoieras la merde et les poils, t’as compris ? » J’ai vite fait oui de la tête et Maman a dit : « Merci, Jacques. » C’est comme ça qu’il s’appelle mon papa. Jacques. C’est à cause de son prénom qu’ils m’ont baptisée Jacqueline. Mais Maman, elle me surnomme toujours Line, ou Linette. Papa, non. Lui, le plus souvent il m’appelle l’Autre. Sauf des fois où il est très content, il dit « ma chérie » en me claquant des bisous. Durant ces moments-là, je dois me concentrer très fort pour ne pas mettre mes bras devant la figure, parce que ça l’énerve et il hurle : « Qu’est-ce qu’elle a, l’Autre ! » Et il me serre les poignets en les secouant dans tous les sens. Maman, ça la fait crier. Et quand Maman crie, Papa se fâche encore plus. J’aime pas entendre Maman crier, je me concentre très fort pour laisser les bras le long de mon corps.