Le Poète et son ami, Pierre-Marie Pouget

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Résumé

 

 

Roman qui raconte une vocation poétique dans les conditions où elle est née et s’est peu à peu réalisée. Malgré de sévères obstacles socio-économiques, le poète en herbe, Jérôme Fellay, encouragé et aidé par son indéfectible ami Claude Payot, réussit à financer lui-même ses études et à devenir professeur de français. Au bout d’une dizaine d’années d’enseignement, il éprouve le besoin de se consacrer tout entier à sa vocation poétique, qui est des plus exigeantes. Il doit se dépayser, sortir des habitudes, des situations humaines trop rassurantes, afin de pouvoir écouter le parler de sa langue qui, tout bas, chante l’inédit du monde, dont il tente, par ses vers, de recueillir quelques instantanés. Il quitte son amie, sa profession, son pays, pour répondre à son appel. Alors qu’il bourlingue depuis longtemps, le poète apprend, tout surpris, qu’un grand éditeur parisien s’intéresse à son œuvre. Il est reconnu et ses poèmes iront chanter en de très nombreuses oreilles francophones. Le poète sexagénaire ne cesse néanmoins de réapprendre, dès l’aube, à frapper le silex des mots, à en faire jaillir l’étincelle qui incendie toujours plus avant.

Ce roman est philosophique, parce qu’il suggère une manière poétique de penser et d’exister, en rupture avec l’inquiète volonté de calcul, de contrôle et de planification, que les événements déjouent à nos dépens plus souvent qu’ils ne la confirment.

 

 

 

Extrait

 

 

Il (Jérôme) vit pour la première fois Cécile, la poétesse, à la bibliothèque. Elle compulsait de gros ouvrages et prenait des notes. Elle portait des lunettes et paraissait un cerveau dans un corps de femme maigre. Son regard était distant, presque méprisant. Il se renseigna, afin de savoir qui était cette étudiante. Il apprit qu’elle était de neuf ans son aînée et qu’elle préparait, sous la direction d’un maître illustre, une thèse de doctorat sur l’œuvre d’un célèbre dramaturge français du début du 20e siècle. Intrigué par l’air hautain de cette doctorante, lui, jeune débutant, s’efforça de l’approcher. Comme elle était pratiquement tous les jours ouvrables à la bibliothèque, il s’y rendait aussi. Il passait près de son bureau et la saluait très poliment, puis il s’installait le plus studieusement du monde à un bureau d’où elle pouvait le voir. Il lisait certains ouvrages que ses professeurs avaient recommandés. Lui aussi prenait des notre. Il voulait se constituer un fichier en bonne et due forme, qui suivît les règles académiques de la citation et de la référence. De la sorte, il eut un motif d’entrer en relation avec la doctorante.

Il dut lui raconter un brin de son histoire. Elle l’écoutait comme un juge d’instruction. Une fois assurée que son interlocuteur avait vraiment l’intention de procéder avec ordre dans la manière de rédiger citations et références, elle se détendit et lui promit son aide. Elle lui montra les conventions en vigueur, insista sur l’exigence de les respecter dans tous les travaux écrits. Son fichier à elle servait de modèle. Elle le lui détaillait sans se lasser. Jérôme ne tarda pas à se rendre compte que Cécile se passionnait plus pour l’art du fichier que pour le contenu des fiches. Il apprit ce qu’il désirait savoir, mais également la façon dont les bibliothèques universitaires répertorient leurs ouvrages, en dressent le catalogue.

 

Le poète et son ami, éd. du Madrier, p. 36.