Le dernier abbé du Lac
Joël Reymond, roman historique Edition Favre SA, Lausanne, 2018
« Le dernier abbé du lac » est un roman historique dont le thème est la fracture de l’Eglise en pays de Vaud.
En effet, en l’an 1536, la Vallée de Joux est soumise à l’Abbaye du lac qui a pour maître, l’abbé Claude Pollens. Lorsque les Bernois débarquent pour morceler le pays de Vaud, ils emportent avec eux de nouvelles idées religieuses qu’ils veulent imposer à ce coin de terre catholique. Dans un premier temps, personne n’est forcé à abjurer, mais très vite les moines et leur abbé n’ont plus le choix : soit ils acceptent la Réforme et reçoivent en compensation une pension à vie, soit ils sont voués à l’exil. Que feront-ils, enracinés dans leurs convictions et protégés entre leurs murs séculaires ?
L’auteur, Joël Reymond, nous invite à découvrir la vie quotidienne des moines et des novices de cette époque quelque peu reculée, en terre helvétique. Vie étriquée et faite de sacrifices, du moins pour certains d’entre eux, les plus petits ou…les plus sincères ! Il nous fait revivre plusieurs événements courants ponctués de mœurs et autres dictats bien souvent trop rigides : un mariage, une condamnation pour sorcellerie, une visite chez un paysan, un passage chez un vigneron…
Epoque difficile pour ces gens du terroir où l’Eglise et ses monastères jouent aux percepteurs d’impôts, aux donneurs de leçons, aux maîtres spirituels. Est-ce pour cela que sous l’impulsion d’un certain Luther, les dénommés Farel, Viret et Calvin se sont remis en question en approfondissant le sens premier des Ecritures ?
L’histoire, à en croire les nombreuses expressions gardées de ces siècles passés, est transcrite pour notre compréhension, dans un français moderne sans omettre l’élégance d’autrefois. Le cœur du récit, là où tout se joue vraiment, dans la grande église de Notre-Dame de Lausanne, est un pur régal pour qui aime les joutes oratoires. Et le dénouement de tant de délibérations soutenues ? Pour les principaux protagonistes, il ressemble bien à une fin heureuse, même s’il manque un peu d’intensité dans les sentiments des personnages. Mais peut-être est-ce dû à la retenue des gens d’un autre temps ?
Recension Marylène Rittiner
Extrait page 94-95
A défaut de comprendre les saintes paroles du roi David, je me laisse transporter par la psalmodie vers la lueur divine. De toute façon, il y a mystère. Et le latin me rappelle que l’Eglise vient de loin, de beaucoup plus loin que moi et qu’elle durera longtemps après moi.
Nos regards sont maintenant fixés sur l’abbé.
« Nous aurons bientôt un nouveau maître. »
Ces paroles résonnent longtemps dans la salle de pierre.
« Notre avoué le baron de la Sarraz a quitté le pays. Les Bernois ne stationnent pas de troupes dans le pays, mais ils sont bien les nouveaux maîtres. De toute évidence, un bailli bernois devrait remplacer le bailli savoyard. Nous connaissons leurs manières. Cela fait déjà longtemps, depuis le temps de l’abbé Pollens, que les Bernois, avec leurs féaux, dépècent le duché morceau par morceau. Ils manœuvrent habilement. Et ils sont nombreux à parler notre langue. Voilà pour l’aspect temporel de notre situation. Nous en saurons plus quand le nouveau bailli arrivera. Reste l’aspect religieux de cette guerre. »
Dom Claude fait une pause et lève les yeux vers les plafonds de la salle capitulaire. Il en parcourt des yeux les colonnes ouvragées, les arcades et les voûtes blanchies à la chaux.
« Mes fils, je ne saurais vous rassurer à trop bon compte : les Bernois attaquent aussi notre foi : ils amènent maints prédicants dans leurs bagages. Je crains que nous devions nous préparer aux bries (heurts, disputes, émeutes) sans fin que nos prêtres connaissent hélas trop bien, à Orbe, à Echallens, à Genève : les hérétiques interrompent la messe, s’en prennent aux processions, jettent les ornements à terre et les foulent. Ailleurs, ils coupent les cordes des cloches pour qu’on ne puisse appeler les fidèles. Le plus dur, c’est que ceux qui défendent la messe et s’emploient à corriger les sacrilèges sont à leur tour châtiés par les baillis bernois et leurs officiers, qui les enferment et les condamnent à l’amende. Voilà, ces malheurs sont aussi sur nous, maintenant. Redoublons donc de foi. »
L'auteur
Après une formation universitaire en lettres, puis un diplôme en théologie, Joël Reymond s'est orienté vers le journalisme. Depuis 2012, il met sa plume au service de projets littéraires de tiers. En 2018, son premier roman Le dernier abbé du Lac paraît aux éditions Favre.