Synopsis
Sonia Chevalley 25 ans, commerciale pour une grande chaîne de magasins, a été retrouvée étranglée dans une forêt au nord de la ville. Peu après Denise, la parapsychologue qu'elle venait de consulter, subit le même sort. Des similitudes entre les deux affaires intriguent les enquêteurs: les deux victimes portent des marques étranges sur leurs avant-bras et toutes deux s'étaient entretenues avec Valérie Nemours peu avant leur décès. Gilles Allard, commissaire de police finit par dénicher un indice qui relie les deux meurtres dans la maison que Valérie Nemours, son amie, vient d'acheter. Il soupçonne l'un de ses patients d'être l'auteur des deux assassinats.
Extrait 1
Où Sonia Chevalley s'inquiète pour son avenir
Sonia avait jugé plus sage de suivre les conseils de la tarologue. A présent, elle était responsable des achats jouets et divertissements dans une grande chaîne de magasins. Malgré ce changement, cette histoire la poursuivait. Pourtant Denise s'était montrée rassurante. "Le temps estompera les souvenirs et puis une relation sérieuse avec un homme vous redonnera confiance. D'ailleurs cette personne était déjà présente dans votre jeu" – avait-elle précisé en lui montant le cavalier de coupe qu'elle venait de retourner.
Mais aujourd'hui, Sonia venait la voir pour une autre raison, une raison qu'elle avait de la peine à s'avouer. Elle espérait que Denise lève le voile de l'avenir sans qu'elle ait à lui fournir d'explications embarrassantes. Elle aimait les hommes, c'était plus fort qu'elle. La jeune femme s'imaginait qu'une aventure de temps en temps ne pouvait nuire à sa relation avec son ami "Du moment que Fabrice n'en sait rien, quelle importance. De toute façon il est sur les routes les trois-quarts du temps" se répétait-elle pour se justifier. Elle était consciente de jouer avec le feu surtout avec la dernière conquête qu'elle s'apprêtait à faire. Des frissons de honte, de peur et de plaisir la faisaient trembler. Il fallait absolument qu'elle ait une idée de ce qui l'attendait au cas où elle réussirait son coup.
Les talons de ses bottes claquaient sec sur le trottoir glacé. On était en janvier, un jour glauque, avec un ciel plombé et des papillotes de neige virevoltant dans une petite bise givrante. La rue n'était pas commerçante et quasi déserte. Sonia frissonna. Des pas glissaient à quelques mètres derrière elle. Ils étaient feutrés comme si un tapis en amortissait le bruit. Elle se retourna furtivement et aperçut une silhouette engoncée dans un manteau. Elle ne put détailler le visage dissimulé par un chapeau bas. "Probablement un citoyen honnête en visite quelque part" se dit-elle mal à l'aise. L'impression d'être épiée l'angoissait. Elle avait promis de ne pas retourner chez la voyante! Elle accéléra le pas et, brusquement déboucha sur le palier de l'immeuble de Denise. Elle appuya plusieurs fois sur la touche de l'interphone, impatiente de se retrouver dans la sécurité tout illusoire du vestibule.
L'homme attendit plusieurs minutes avant de traverser la rue. Il consulta les noms sur la porte et secoua la tête lorsqu'il s'arrêta sur la publicité de la tarologue. L'entêtement de cette femme le rendait fou! Sonia parlerait peut-être de lui ou même d'eux… Avait-il manqué de prudence? L'inconnu essaya de se remémorer ce qu'il avait bien pu lui raconter de son histoire. Il n’avait aucun souvenir de lui avoir fait des confidences; cependant il ne pouvait être sûr de rien. Rebroussant chemin d'un pas tranquille, il se demanda s'il pouvait prendre ce risque.
Extrait 2
Le meurtre de Sonia Chevalley
L'homme avait entendu l'annonce du meurtre de Sonia Chevalley aux informations et en éprouva un choc. Il ne s'attendait pas à ce que le corps de la jeune femme soit découvert si rapidement. Il aurait du prendre congé aujourd'hui, cela lui aurait évité de devoir jouer la comédie de la compassion et de l'étonnement. Tout l'étage était en effervescence et Mme Bonard, la tante de la victime avait du s'aliter à la suite d'une crise de nerfs. L'homme finit par se réfugier dans la pénombre de la petite chapelle pour réfléchir tranquillement.
Sonia Chevalley était devenue folle. Il se rappela leur dernière entrevue et la scène insupportable qui l'avait maintenu éveillé une nuit entière. La jeune femme avait pris rendez-vous pour l'entretenir de sa tante. En réalité, elle le voulait, lui, dans le lieu le plus sacré de l'hôpital. Ses yeux, la poitrine haletante sous la robe trop fine pour la saison, son regard caressant et ses gestes qui masquaient à peine son désir… Il se souvenait de son trouble et de la rage qu'il avait eue lorsqu'elle avait essayé de le toucher. Il avait reculé. Elle avait ri. Il lui avait demandé de reprendre ses esprits, elle avait encore ri en l'assurant qu'elle serait là, le jour où il serait prêt.
L'homme se rappelait du triomphe qu'il avait perçu dans sa voix lorsqu'il lui avait téléphoné lundi en fin d'après-midi. Il avait appelé d'une cabine de la gare et lui avait donné rendez-vous sur le parking d'un motel. A aucun moment, elle n'avait flairé le danger, elle était si sûre de son charme. Hier… il neigeait par petits flocons paresseux et l'air était tout alourdi d'humidité. Il n'y avait âme qui vive; l'endroit était quasiment désert et il faisait presque nuit.
- Quel romantisme! – s'était-elle exclamée lorsqu'il avait ouvert la portière de sa voiture.
- Vous ne pouvez savoir à quel point - avait-il murmuré.
Il lui avait pris le bras et l'avait emmenée vers son véhicule. Elle avait compris que le motel n'était pas le terminus et avait roucoulé à son oreille.
- J'adore les surprises. - Laissez-vous faire – avait-il susurré d'une voix qu'il espérait suave en ouvrant les deux portes arrière et en l'aidant à grimper sur le pont. Il avait regagné le siège du conducteur et monté le chauffage à fond.
Le plan s'était déroulé comme prévu. Il était arrivé à proximité de la forêt entre chien et loup sans anicroche. Sonia s'était mise à l'aise. Elle avait trouvé le champagne et avait rempli les verres, étendue langoureusement sur la large banquette, sa robe remontée à la limite des jarretelles. Il avait trinqué réfrénant sa colère et masquant son dégoût avec un sourire de commande, puis s'était approché tout près d'elle comme pour l'embrasser. La jeune femme n'avait même pas remarqué qu'il n'avait enlevé ni ses gants, ni son manteau. Absorbée dans l'attente du plaisir qui allait venir, elle avait fermé les yeux. Il avait glissé le lacet derrière son cou et s'était mis à serrer. Sonia s'était débattue et comme elle était vigoureuse, cela n'avait pas été facile. Mais la rage et la peur décuplaient ses forces et il n'avait fallu que quelques minutes pour en finir. Il avait failli vomir de dégoût devant ce corps à moitié dénudé que la mort avait rendu flasque. Et il avait du rassembler tout son courage pour réaliser la dernière étape de son plan. Enfin, il l'avait chargée sur son dos. La clairière était là, près de la route, bien abritée des regards par un rideau de feuillus. Il avait jeté la femme sur le dos comme un vulgaire paquet. Le rictus horrible qui déformait son visage lui avait paru insupportable. Il avait rassemblé les feuilles déjà recouvertes d'une fine pellicule de neige et en avait fait un linceul. Tendu, au bord de l'épuisement, il avait regagné son véhicule. Et ce soir-là, il s'était laissé allé à boire comme jamais auparavant.
Auteure: Anne-Catherine Biner