Présentation et extrait
Le récit de Joseph Blumenthal, juif d'origine polonaise, arrivé en France en 1925, dont les parents et la petite soeur ont péri dans un camp nazi.
Le personnage, un homme âgé, seul, se découvre peu à peu et au fur et à mesure qu'il rédige le journal de sa vie, « une vie frottée à son époque, et désormais rétrécie, promise à la tisane et aux gestes lents. » (M. Audétat, l’Hebdo).
Journal écrit du 16 mai au 18 septembre 1994, temps des cerises.
« Je me demande si tout ce travail d’écriture que j’ai entrepris (ou qui m’a entrepris, je ne sais même plus si j’ai vraiment décidé quelque chose), si ce n’est pas juste pour revivre, finalement, pour essayer de revenir en arrière, dans un monde qui m’appartenait encore. Nous avons tellement pensé à l’avenir ! » (p. 40)
Soucieux d'expliquer à ses enfants, et surtout à son arrière-petit-fils, qui il fut et ce que fut le siècle avec lequel se confond sa vie, ce qui l'a obligé à certains choix politiques, le vieil homme s’écrit…
« Un jour, il y a plusieurs années déjà, j’étais en voiture avec Aurélien et on est passé par hasard devant le 79 de la rue Julien-Lacroix…
« Tu vois, c’est là que j’habitais quand j’avais ton âge. » Il a regardé poliment : « Ben, disdonc, c’était assez crade… » Il avait une douzaine d’années à l’époque et il a ajouté d’un air surpris : « T’étais pauvre alors quand t’ étais petit ? » Et je me suis senti tout con, et aussi un peu coupable. Pas d’avoir été pauvre, bien sûr, mais d’avoir bêtement essayé de faire passer quelque chose de mon enfance à ce petit garçon, mon petit-fils, ce fils d’universitaires qui grandissait à des centaines d’années-lumière de la rue Julien-Lacroix, et coupable, aussi, d’avoir laissé cette distance s’établir, d’avoir laissé mes enfants et leurs enfants pousser si loin de moi.
Maintenant, aujourd’hui, avec mon portemine et mon bloc Clairefontaine, je tente de combler cette distance. » (p. 27)
« C'est ce portemine en argent, on commence à écrire, et puis ça part tout seul. Peut-être que je vais me mettre à écrire mes Mémoires pour mes petits-enfants! Elles ne seraient pas plus bêtes que les autres, d'ailleurs, ni plus embêtantes à lire. C'est pas les trucs à raconter qui me manquent! Joseph Blumenthal, Mémoires d'un Vieux... D'un vieux quoi? D'un vieux militant? D'un vieux con? D'un vieux Juif d'origine polonaise? D'un vieux tout court ? »
« Je peux dire que j’ai connu des moments difficiles dans ma vie. Certains, j’en ai parlé depuis que je me suis mis à écrire. Eh bien ça, c’est quelque chose qui sera peut-être difficile à comprendre pour un jeune d’aujourd’hui. Car, bien sûr, c’est à eux que je pense en écrivant ces lignes. Nina, Jérôme, mais aussi les autres, les petits, Aurélien surtout. Aurélien…. Je crois bien que c’est pour lui que j’écris, et j’ai parfois l’impression que ça ne servira à rien. Il lire tout ça quand je serai mort… Et voilà que j’ai trouvé ce moyen, écrire, et là, oui, ça va, ça marche, je n’arrête plus. On dirait que ça fait des années que j’attends.» (p. 66-67)
Le titre…
Celui de la célèbre chanson de Jean-Bernard Clément, reprise par Yves Montand - chanson d'amour devenue par la suite le symbole de l'espoir que gardait au coeur les communistes vaincus et auquel répond le roman…
« De toute façon, pour moi c’est trop tard, on ne change plus à mon âge. Et puis même si les rêves s’obstinent à se casser la gueule, même si le bonheur n’est pas encore pour demain, même si la voie que nous avons prise n’était pas la bonne, je sais qu’il y en a une et que d’autres trouveront.
Je sais qu’il y aura toujours des hommes pour la chercher et pour y croire, et qu’ils finiront pas y engager l’humanité. Il ne faut jamais désespérer. » (p. 186)
Au centre…
Joseph Blumenthal, un vieil homme au soir de sa vie…
«Souvent le matin, quand je me lève, je ne suis pas de très bonne humeur. J’ai mal dans le dos. J’ai une sale gueule dans la glace, cette barbe dure et blanche dans les plis du visage. J’ai de la peine à penser que c’est moi. Je me fais du café, j’écoute la radio et ça n’arrange guère mon humeur. Je me lave, je me rase, je m’habille… je traîne. Je n’ai jamais aimé le matin, même quand il ouvrait sur des jours pleins de projets et d’attentes. Alors maintenant…» (p. 11)
« Il n’y a pas que ma tête de vieux qui me saute aux yeux le matin quand je me lève. Il y a aussi la journée qui s’étend, douze heures au bas mot, à remplir, à meubler, à essayer de me prouver que ça sert à quelque chose, à soixante-quinze ans, d’avoir encore envie de vivre. » (p. 12)
Retrouver la suite de la présentation et des oeuvres de Sylviane Roche sur le site de son éditeur Bernard Campiche.