Du Gris à la Couleur, Francine Florent

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Présentation et extraits

Le récit de Joseph Blumenthal, juif d'origine polonaise, arrivé en France en 1925, dont les parents et la petite soeur ont péri dans un camp nazi.

Le personnage, un homme âgé, seul, se découvre peu à peu et au fur et à mesure qu'il rédige le journal de sa vie, « une vie frottée à son époque, et désormais rétrécie, promise à la tisane et aux gestes lents. » (M. Audétat, l’Hebdo).



Mon annexe préférée était le poulailler. J’adorais ce lieu rempli de volatiles. Le coq me faisait un peu peur, il me toisait essayant d’être plus grand que moi et ses cocoricos m’impressionnaient. Pépé disait d’un air entendu :

- Il remercie le Bon Dieu de ne pas avoir donné de culotte aux poules ».. ??? je n’ai jamais bien compris pourquoi ! Ben justement moi je trouvais que ça faisait joli, ces poules picorant ; la courbe de leur dos était harmonieuse de la tête au croupion, de plus, ça donnait de belles couleurs à ces plumes s’agitant en rythme au fur et à mesure de leur picorement. . Ces gallinacés, quelles merveilles... après la ponte quand elles caquetaient fièrement annonçant :

- J’ ai fait un œuf, venez voir j’ai fait un œuf !

Oui justement, quoi de plus parfait qu’un œuf, et tout particulièrement des œufs posés, dans les nids où je trouvais avec délice, tous les jours, les cadeaux laissés par mes amies.

Une fois Mémé m’avait dit :

- Tu vois, ce nid-là, on va laisser les oeufs dedans et tu vas voir ce qui arrivera »

Alors, chaque matin, je demandais en voyant toujours la même poule couchée dessus :

- Qu’est ce qu’elle fait » ?

Mémé restait hermétique :

- Attends, tu vas voir !

Mon grand oncle qui adorait nous faire des farces.. (Un grand encore plus vieux que Siméon, mais que je n’aimais pas moins fort) nous en mijota une de derrière ses fagots.

C’était une soirée de pleine lune : Françoise et moi, on était devant le petit coin, impatientes. Le pépé oncle Georges vaquait à des occupations que nous ne pouvions faire à sa place. Ca prenait du temps. Alors je cognai à la porte en disant :

- Qui est là …

Il répondit sans attendre d’une voix d’outre tombe et nerveuse qui voulait bien dire qu’on l’emmerdait :
- C’est la sorcière avec son ballet bleu !

L’image évoquée eut un effet hilarant sur nous à tel point, qu’on en pissa dans nos culottes.. Je retenais la métaphore comme une chose absolument fantastique...

Le lendemain je décidais d’immortaliser la sorcière



Deuxième étape à Roqueserrière

La première anecdote qui me vient en mémoire ce fut le jour où il – le grand papa- décida de repeindre notre maison qui était bien sale et en avait bien besoin. Et chacun d’acquiescer, encouragea l’aïeul à entreprendre la projection de la chaux sur les murs intérieurs… Moi en petite fille admirative je le suivais partout, espérant glaner ça et là des secrets bien gardés.

Je crois que dès le premier jour de badigeonnage ne fut pas le succès escompté, pire le résultat s’il en fut un, n’amena pas l’effet désiré …

-Viens avec moi Cinette on va chez les Pruniers ! dit il en me prenant la main.

Après les civilités d‘usage le brave paysan nous demanda ce qui nous amenait.. Pépé Alfred expliqua ses démêlés avec sa peinture et demanda à l’agriculteur de bien vouloir nous prêter sa sulfateuse…Bien sûr qu’on nous la prêta, la dite sulfateuse ! Entre nous je crois bien que notre brave voisin se prit à rire sous cape. Mais n’anticipons pas comme aurait pu dire Eve, à qui l’on eût parlé de la pilule anticonceptionnelle.

Très satisfais de son idée, lui et moi revînmes aussitôt à la « Poulardiere », nom donné à notre nouvelle maison.. Oui encore une idée géniale du Patriarche, référence à la future destination du lieu.

Le lendemain à l’aube, Alfred annonça à toute la maisonnée qu’il prenait les choses en mains et que le soir tout serait fini…Oui hé bien c’étaitsans compter avec les caprices de la sulfateuse autoritaire. Elle, elle avait l’habitude de liquide plus fluide, alors la bouillie du grand père ça lui donnait des aigreur d’estomac qu’elle n’était pas prête à digérer ! !. La dite bestiole toute reluisante de cuivre n’était pas conçue pour pulvériser du liquide pâteux. Et elle tenait à nous le faire savoir .L’orifice de la tête gicleuse, qui ne connaissait jusque là que le sulfate, se boucha tout de go. En l’occurrence dès que la peinture passait elle obstruait le trou assez vite, le pire était de le déboucher.

Au cour de ses premières expériences et devinant que l’affaire pourrait être plus corsée que prévue, mon grand papa me congédia en maugréant :

- Va au verger pour voir si j’y suis !

Je devinais ou non, qu’il voulait garder le secret du bon badigeonnage. J’obtempérais sans rien dire.

De l’extérieur je l’entendais, enfin je veux dire tout le village l’entendait jurer comme un paillard. .Même que des braves passantes un peu bigotes, passant devant le portail de la Pouladière, se signaient frénétiquement… - Oh doux Jésus ! Qu’est ce qui se passe ici ?

A midi le peintre déclina l’offre de venir se sustenter. Avec nos points d’interrogation générale, nous nous régalâmes, dehors sous la tonnelle sans trop oser la moquerie.



Oups ! le soir, quelle histoire ! …. Un homme tout blanc de partout, même des lunettes, tentait de sortir de la pièce sans rester collé à la poignée de la porte qui se révéla aussi blanche que le bonhomme de peinture. En définitive c’était une réclame pour le blanc.

« Y a un blanc dans la salle ??? » En jetant un œil dans la chambre, je vis du blanc. Ah oui pour du blanc, ça il y en avait, plus qu’un curé n’en pourrait bénir…. du blanc que du blanc, encore plus blanc que blanc, mais alors partout, même sur les vitres des fenêtres, et sur le sol, il y en avait tellement qu’on avait de la peine à ne pas s’embourber dedans. .

Et le pauvre grand père demanda notre aide bienveillante pour enlever de son bleu, que dis je, de son blanc de travail. ! Tu parles d’un cirque pour l’extirper de sa coquille…. Je ne sais pas trouver un nom qualificatif plus juste ! Sa carapace immaculée était plus raide que la statue de la Liberté tant et si bien qu’une fois enlevée ’elle se tenait toute seule au milieu de nulle part.



Longtemps après deuxième partie de vie

Mimi venait souvent me voir et le plus souvent encore nous allions danser tandis que son homme sortait de son côté.. Quelquefois elle m’adjoignait de répondre à une annonce matrimoniale et m’apportait le Journal de Genève à cet effet.. Mais moi je n’étais pas du tout décidée à répondre à tous ses prétendus jeunes beaux, bien sous tout rapport qui tapissaient la dite chronique.

Nous allions très fréquemment dans un bal musette de la Rue de Carouge où la musique était encore de notre âge.. C’est là que je fis la connaissance de Loulou. Bel homme, quarantaine, , franc, joyeux, bref tout pour plaire.. Nous sortîmes plusieurs fois ensemble. Et un soir il m’invita en sa demeure…

D’abord il eut une peine folle à ouvrir sa porte, quelque chose s’était coincé derrière et refusait toute entrance. Une hanche après l’autre à la fois, Loulou arriva à pousser le balai brosse qui condamnait l’ouverture. Puis j’entendis comme un remue ménage bizarre ; enfin il me fit entrer dans son antre de vieux garçon en s’excusant de ne pas avoir eu le temps de faire le ménage.. ! A ce stade on ne parlait plus de « faire le ménage » mais de tout jeter à la poubelle. Trois mots de la cuisine, une parfaire horreur de saleté de tout ce qui pouvait servir de contenant : assiettes, tasses, verres, casseroles. Un kilo de crasse s’entassait piteusement dans l’évier et sur la table, voir même sur la chaise.. L’unique chambre à tout faire, était jonchée de la totalité de ce qui fait le fatras d’une maison. Le tas de fringues représentait un Himalaya de vêtements, chaussures, chaussettes, blouson, pantalons voir soutiff - pas à lui- et slip unisexe ou non. Les oripeaux avaient eu, depuis longtemps le retour d’âge sans avoir jamais connu de lavage, ou pas depuis Mathusalem..

Je n’ose pas parler du lit, ses draps exposaient fièrement les traces d’une précédente maîtresse. Je ne vis pas de toilettes et je pouvais me figurer de l’état de la salle de bain..

Ni une ni deux, je fis volte face et m’enfuis me cacher chez moi prendre un bain ! Loulou essaya vainement de m’appeler au téléphone, je ne répondis pas. Le lendemain il vint chercher explication à ma porte.

-Mais pourquoi t’es partie hier soir ? fit- il avec cet air bête de celui qui ne comprenait pas !

- J’avais envie de faire pipi, répondis je pour me moquer de lui.

- Mais tu aurais pu faire chez moi !

- Ah non !

- Pourquoi ?

- Demande le à ton merdier, et par la même occasion la prochaine fois que tu reçois une nouvelle poule, change au moins les draps ; nous les femmes, on n’aime pas voir les restes d’une autre !

Je ne saurai jamais si Loulou avait imprimé la leçon, car je ne le revis jamais.



Comme le Costa ; échoués à Norogna, aventures illimitées

Tout commença par un jour banal qui aurait pu rester banal sans l’invitation. Et ce fut une chose que cette invitation ! celle que Pereira m’avait donnée la veille et que je n’avais pas comprise.

Je n’avais rien à me mettre, tout était dans un état pas possible dans notre capharnaüm du bord…

Roger n’était pas mieux loti.. Tous les deux, Filopate et Patachon, semblions sortir de la cour des miracles parigote. Le sergent Peirera en grand uniforme d’apparat, nous embarqua dans sa Jeep comme nous étions, via l’école où il y avait la fête…

Berthe,(expression propre pour pas dire merde) je venais de prendre conscience de ma mise. J’avais honte comme pas possible surtout devant tout le beau monde habillé chez Dior ou Cardin. Les belles dames firent semblant de ne pas me voir, les huiles se trouvèrent brusquement une conversation stratégique.

Roger et moi semblions vraiment tombés d’une pochette surprise..

Peirera fit taire tout le monde,.

Il me prit par la main et me présenta :

Mesdames, messieurs, dit il en portugais je vous présente la Miraculée de Norohna !

Ce fut comme un éclair. D’un seul coup toute l’assemblée ne s’occupa plus que de moi.

Et je te pose des questions, et je veux te toucher, et même t’embrasser ; j’ai l’impression que je suis devenue persona grata en une seconde et je ne sais même pas pourquoi. J’ai perdu mon Cap qui fut happé par un militaire, qui voulait absolument lui faire goûter un truc local…

Nous étions en hâillons mais honorés comme des princes. Je crois que la cachassa fit office de perte de mémoire…… car le repas ne fut pas mieux réussi que s’il avait été donné au Roi de Perse. !

Organiser une vie de Robinson de brûle pourpoint était encore un de ces métiers dont j’ignorais jusque là le bien fondé du savoir faire. Tout était sujet à difficulté qui semblait de prime à bord impossible à résoudre. Ainsi ma première préoccupation fut : comment me laver, je suis une femme et dans des moments critiques on a en plus les empoisonnements mensuels par 40°.



Les pieds bleus aux iles des Galapagos

S'il peut exister un emblème vivant de la stupidité, je vous présente le "fou de Bassan aux pieds bleus", je vous rassure ce ne sont pas des hommes !

Dès que nous croisons dans les parages des premiers Îlots, nous voici assaillis par les oiseaux, plus précisément des fous sus dit , à pattes bleues... Et personne ne peut se tromper.... la nature les a pourvus de palmes, aussi azur que le ciel..... Imaginez si on mettait des chaussures bleu pétard à tous nos idiots de la terre, on n'aurait pas fini de rire à tous les coins de rue ;o))....

Il faut dire que notre Pictoris est un envahisseur indésirable... Sur le mât une longue tige se balance avec nous, c'est notre paratonnerre... A l'arrière une Eolienne...qui ronronne normalement.

Quant à moi je n’ai pas le temps de chômer, je dois être partout à la fois. Faut zieuter et repérer la balise, qui doit nous guider à la bonne île…… faire la chasse à courre, sus aux fous ! .et répéter tout ça dans l’ordre..

Il y en des centaines qui volent vers nous. Hitchcock n'a pas imaginé mieux quand il montrait son attaque par les oiseaux..

Ce sont des palmipèdes, attaquant sévèrement, pas nous, mais surtout l’hélice de l’éolienne et la tige du mât. C'est toujours le même scénario. Ils arrivent, ils tournent autour du voilier. A ma hauteur et à chaque passage ils me lancent un oeil bleu d’acier froid. Généralement c’est le chef seul qui dicte sa stratégie ... Les palmes de l’éolienne l’inspire, dès qu’il l’aperçoit. Il montre aux autres comment débouter l’adversaire inconnu.... Et Oups ! Les plumes volent bas, tandis que notre « déplumé poulet à vent » se défend "himself".

Généralement je saute sus aux animaux. Avec un linge je fais de grands gestes qui parfois suffisent à les déboussoler. Mais cette petite misère ne décourage pas le chef qui refait le tour de Pictoris, revient à la charge plusieurs fois en fumant de rage...

-T'auras bonne mine quand tu seras à poil !

L'argument n'est pas assez frappant et après un tour de plus, voilà t'y pas qu'il repère le paratonnerre.

Zou, il remet les gaz pour l'ascension, et tout son escadron en fait autant.. En haut l'engin se défend tout seul aussi. Attaquée, la flexibilité de l'objet envoie aussitôt une baffe au gêneur en aller et retour.. Tous ses lieutenants en font autant. C'est à se tordre... mais l'autre stupidité vexée continue de plus belle jusqu'à ce qu'elle soit à moitié groggy...alors sans autre préavis, l’idiot donne l’ordre de repli.... On a la paix pour quelques temps. Mais déjà la vague des foldingues suivante arrive.. Rebelote et dix de der. Ils refont tout comme les premiers... Ils remettent tout ça dans le bon ordre.... Même arrêtée la génératrice à vent les électrise....



Brusquement c'est autre chose, un bruit de clochette....

- Mince, j’ai oublié la ligne de traîne...

- Qu'est ce que tu paries que c'est une de ces bêtises qui s'est fait prendre.... Bingo ! et un fou d'attrapé!

Faut–il vous l’emballer ou c’est pour consommer tout de suite ? …..Tu parles d'un cirque pour lui retirer l'hameçon... Impossible l’animal a un bec comme un poignard..



En mer !

Notre voilier et nous étions parfaitement heureux.... MAIS...... ben oui il y a toujours un bémol qui traîne pour nous.. Le mais arriva avec ces cétacés de malheur, annonciateurs justement de mauvais augure ! Pauvres bêtes, ce n'est pourtant pas faute de cabrioles et d’avertissements de toutes sortes, pour nous inciter à les suivre....

- Viens aux Marquises …qu’ils semblaient dire, viens chez moi j'habite chez une copine !

- T’as l’bonjour du chef ! Allez suis nous. Tu vas avoir du gros temps ...

- Vite, vite, suivez-nous, vous n'êtes pas sur la bonne route

. Soudain l’adjudant chef des bestioles revint chercher les retardataires en gueulant très fort !

- C’est assez ! Laisse tomber, Oscar ! tu vois bien qu'ils sont têtus ces humains, ils n’impriment plus à cet âge !

De mon côté je faisais mon possible pour leur faire comprendre que ce n’était pas notre route ni notre vitesse... Quand le service météo cétacés apparaissait, c’était toujours sauve-qui-peut en haute mer, pour eux et pour nous: - Range ton foc, fissa, et tiens toi bien, vlà toutes les douleurs du ciel qui vont te tomber dessus !.

Alors comme de bien entendu, quelques heures plus tard nous étions en pleine dépression... Tropicale la nôtre ! ce qui ne gâtait rien à la festivité !.... nous en avons pris pour trois jours...

Une petite embellie, et on est content d'être dans le soleil..

Nous allions déjà pavoiser, lorsque que la seconde partie arriva !



Pour me consoler de mon capitaine perdu, j’écris cette biographie pour nous…Pour ne pas perdre ma mémoire.