Editions Notabilia 2022
Roman
Après des années d’absence, Isabelle retourne dans son village natal situé dans les Alpes. Malgré son appréhension, elle accepte de rejoindre, pour quelques jours, son frère Olivier, aux côtés de son père atteint dans sa santé mentale. Durant ce court séjour, lui remonte au cœur tout ce qu’elle a tenté d’oublier, en fuyant loin de la maison de son enfance. Peut-être aujourd’hui comprendra-t-elle enfin pourquoi ce père, ancien guide de montagne, a été si absent, si destructeur ? Peut-être parviendra-t-elle à se faire aimer un peu ? Peut-être même réussira-t-elle à lui pardonner ?
Avec son nouveau roman La nuit des pères , Gaëlle Josse nous emmène dans les souvenirs pénibles d’Isabelle. Retrouver ces lieux encore chargés de la présence nocive de son père, et revivre chaque moment difficile de sa vie à ses côtés, plongent l’héroïne dans un tourbillon d’émotions qui rouvrent d’anciennes blessures. Par le biais d’un monologue intérieur, elle parle à cet homme maltraitant, lui avouant en silence ses ressentis les plus profonds, ceux que l’on n’ose pas dire, ceux que l’on garde trop longtemps et qui peuvent détruire l’âme ou au contraire, forcer à se construire.
Dans le déroulement du récit, d’autres personnages importants entrent en scène. Il y a les disparus de cette histoire, la mère et le compagnon de l’héroïne. L’auteure raconte leur douceur et leur bienveillance, ajoutant ainsi une note d’humanité au milieu de ce fatras de conflits. Puis elle donne la parole au père qui relate enfin le drame de sa vie, faisant de lui « un bois mort. » Puis au frère, le fidèle, toujours présent, lui permettant à son tour d’ouvrir son cœur.
Une confession douloureuse pour chacun, certes, mais qui, au fil des pages, agit comme une thérapie sur ces êtres blessés, les obligeant à mettre des mots sur leurs questionnements, leurs chagrins, leurs colères et leurs regrets accumulés au cours de leur existence. Une façon pour cette famille meurtrie de se comprendre enfin, de faire la paix et de commencer à s’aimer, autrement. Ainsi, « tout peut continuer. »
Gaëlle Josse assemble avec talent les termes les plus simples en phrases fortes, remuant ainsi nos âmes. Elle sait nous captiver malgré la description poignante des sentiments à vif et la rudesse des anecdotes.
Un livre qui nous prend au cœur, nous ramenant peut-être à nos propres fractures, mais qui nous laisse, à la toute fin, un goût de sérénité retrouvée.
Recension Marylène Rittiner
Extrait page 30
La maison du père. Avec Olivier, nous n’y invitions personne. Pas de témoins. Pas de prise. Qu’on ne raconte pas, qu’on ne nous plaigne pas, qu’on ne sache pas. Que le regard ne s’arrête pas sur cette maison au portail et aux vies grinçantes, à la boîte aux lettres tordue et aux habitants abîmés, qu’on ne s’arrête pas sur ses ombres et ses déroutes, sur ses chagrins et sur nos jeux interrompus.
A qui parler ? Qui nous aurait crus, nous, tes enfants, ceux du héros du village, du héros de la vallée, connu et reconnu, estimé, respecté, vénéré ? Il n’y avait rien à voir, rien à montrer, rien à prouver. Dire la peur, deux voix frêles pour la raconter, ça ne suffit pas. Et chaque jour nous espérions, grâce à notre obéissance de petites statues, renverser le cours des choses et parvenir à nous faire aimer. Je me suis tenue droite et souriante, intacte. Dévastée mais intacte, propre et nette. Ça m’a occupée toute ma vie.