Pierre Maudet. Le vertige du pouvoir, Philippe Reichen

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Biographie, éditions Cabédita, 2020, 190 p.

 

Philippe Reichen, correspondant romand du journal zurichois Tages-Anzeiger, propose un regard critique, sans complaisance et sans outrance, sur la carrière du politicien genevois Pierre Maudet. Il s’appuie essentiellement sur des faits, en mettant d’abord en évidence des éléments biographiques moins connus du public : Pierre Maudet ne vient pas de milieux privilégiés et rien ne le prédestinait à devenir l’étoile du parti radical genevois ; ses parents sont des fonctionnaires, son père est français, sa mère grisonne, il suit des études à l’Université de Fribourg.

 

« L’Affaire Maudet » tiendra à la fois du thriller politique et de la tragédie. Trois chapitres découpent la carrière de l’homme politique, de son ascension fulgurante à sa « chute » (c’est le titre allemand du livre, Pierre Maudet – sein Fall).

 

 

Dans le premier chapitre, « Du skate-board à la politique », on suit la carrière d’un homme qui s’est fait lui-même, grâce à sa fougue, son intelligence et son pragmatisme. À l’aise avec les médias, imaginatif, Pierre Maudet se fait les muscles en défendant des causes difficiles : la cause européenne mais aussi l’union des cantons de Vaud et de Genève. Même si Philippe Reichen ne tire pas le parallèle, le positionnement de Pierre Maudet fait penser à celui d’Emmanuel Macron : comme lui, il manie le verbe et aime le pouvoir ; comme lui, il « fait de la politique par effraction » ; comme lui, il a su habilement naviguer entre la gauche et la droite, en donnant des signes du côté des verts. « Monsieur Propre » a aussi un œil du côté des milieux populistes en s’emparant de sujets porteurs comme la défense de l’ordre et de la propreté. Finalement, c’est le parti radical qui l’héberge ; chaperonné par Guy-Olivier Segond, adoubé par Pascal Couchepin, il s’y engage davantage par opportunisme que par conviction.

 

 

Le deuxième chapitre montre l’installation de Pierre Maudet « au pouvoir ». Le politicien toujours hyperactif devient très populaire avec la création d’une vraie police municipale. À l’âge de 33 ans, c’est le plus jeune maire de l’histoire de Genève. Brillamment élu au Conseil d’État, il hérite d’un département taillé sur pièce, sécurité et économie et se fait remarquer par sa politique « disruptive » : en travaillant avec les syndicats, il combat le travail au noir et le dumping salarial ; pour mettre sur pied l’opération « Papyrus », qui vise à régulariser sous certaines conditions la situation des sans-papiers, il demande l’éclairage de deux conseillères fédérales socialistes, Ruth Dreifuss et Simonetta Sommaruga... Cette campagne a un écho national et l’amène au moment le plus fort de son ascension politique : sa candidature au Conseil fédéral en 2017. Certes, sa défaite sera nette face à la candidature d’Ignazio Cassis, néanmoins il aura fait forte impression grâce à une campagne parfaitement orchestrée qui bouscule les convenances et aiguise son profil auprès des parlementaires fédéraux … Seule ombre dans cette montée en puissance : avec la police, le conflit s’est envenimé.

 

 

La troisième partie raconte la crise qui se développe suite à la révélation du luxueux voyage à Abou Dhabi puis l’enquête pénale. L’enquête est déjà en cours lors de l’élection au Conseil d’État du 6 mai 2018. La suite est largement connue : après la publication de l’article de la Tribune de Genève, Pierre Maudet s’enferre dans les contradictions, les maladresses et les mensonges. Dès lors, le temps change pour le brillant politicien : la presse se fait inquisitrice, les parlementaires genevois et le PLR sont consternés et exigent des réponses. Pierre Maudet perd une grande partie de ses mandats, dont la présidence du Conseil d’État qui est attribuée à Antonio Hodgers, « compagnon de route » devenu rival. Humilié, il est poussé à la démission par le PLR genevois et national. Envers et contre tout, Pierre Maudet tient bon, connaît la solitude de celui qui est rejeté par ceux qui l’avaient élevé au pinacle.

 

 

À la question posée par le Blick : « Comment un politicien aussi talentueux peut-il ainsi détruire sa carrière ? », le journaliste alémanique Roger Schawinski esquisse une réponse : l’hybris ou le vertige du pouvoir. Quant à Philippe Reichen, il se garde bien de répondre à la question que chacun se pose : Pierre Maudet survivra-t-il à cette « chute » ?

 

Recension par Pierre-François Mettan