Maman, la nuit, Sara Bourre

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Editions Noir sur Blanc/Notabilia 2023

 

Roman

 

Une femme jeune et amoureuse, brisée par un drame, se retrouve seule pour élever sa fille. Toutes deux habitent une maison à l’orée de la forêt.  L’enfant se raconte au travers de sa mère, de ce qu’elle a entendu et ressenti de sa vie avant sa naissance. Elle relate son existence auprès de cette femme belle et désirable, fragile et forte tout à la fois, qui peine à lui donner de l’affection, mais qui est tant aimée des hommes. Alors elle l’observe, parfois avec amour et fascination, parfois avec haine et répugnance. Livrée à elle-même, elle grandit telle une enfant sauvage, perdue dans la solitude de cette mère quasi silencieuse, sentant et percevant sa détresse profonde. Et pour sa propre survie, elle se méfie, se cache du monde, épie, écoute en catimini. Elle se fond dans la nature, se glisse dans le lac, se colle à la nuit, y cherchant des réponses pour tenter de se construire. Au village, elle déteste les regards alléchés des hommes et les mots aigres des femmes.  Puis un jour sa mère disparaît. Elle la cherche, l’attend, l’espère… Reviendra-t-elle ? Comment tracer sa route sans elle ?

 

Avec son premier roman, « Maman, la nuit » Sara Bourre nous livre un récit poignant, ponctué d’événements tristes et douloureux. Les deux héroïnes, la mère et la fille luttent pour résister face à une société où jugements et critiques ne font aucune place à la compassion et à l’entraide. Dans cette fiction, on ne connaît pas le nom des acteurs. Ils sont, Maman, le clown, le facteur, monsieur le professeur, les hommes, les femmes, le garçon. Tous pourtant ont un rôle à jouer dans le déroulement de cette histoire difficile. Seul un protagoniste est doté d’un prénom, Armand…

 

Au fil des pages, la fille, personnage central du roman, découvre les sentiments complexes de sa mère envers elle, parfois aimante, l’instant d’après, dure et froide. Elle met ainsi son âme à nu, exprimant ses afflictions, ses sentiments d’abandon, ses manques, ses peurs, ses colères, mais aussi ses passions, ses moments de joie, son envie de rire, son courage, et sa détermination à vivre envers et contre tout.

 

Une écriture belle et intense qui oscille entre poésie et répétitions linguistiques, entre phrases percutantes et demi-mots. Il faut parfois lire entre les lignes, creuser pour entrer dans la tête de la narratrice, revenir en arrière pour comprendre certaines finesses, certains liens. Rêve, réalité, imagination de l’héroïne ?  Le lecteur peut quelquefois s’y perdre.

 

Un roman fort, envoûtant et bouleversant qui prend aux tripes du début à la fin, et qui risque bien de faire verser quelques larmes aux plus sensibles. 

 

Recension Marylène Rittiner

 

 

Extrait page 55

 

Ce matin le facteur est devenu tout rouge et très nerveux parce qu’il m’a surprise en train d’essayer de crever le pneu avant de son gros vélo neuf arrêté sur le bord du chemin. Il m’a couru après jusqu’à l’entrée de la forêt en me menaçant avec un journal roulé, droit comme un bâton tendu vers le ciel et crachant et suffocant et criant qu’il aurait ma peau, ma peau de petite peste bonne à rien d’autre qu’à me dissimuler dans les longs cheveux noirs de Maman et que je finirai putain comme elle et sale et laide en plus, et bonne à rien qu’à tirer des cartes sur des comptoirs poisseux et qu’à offrir mon lit à tous les chiens du village et plein d’autres choses encore. J’ai tout bien entendu.

 

Je n’aime pas le facteur. Et je n’aime pas son gros vélo tout neuf avec lequel il se pavane dans le village. Je n’aime pas la façon dont il regarde Maman entrer dans le café le soir, ni le sourire mièvre qu’il lui adresse quand elle daigne se tourner vers lui, ni la main qu’il pose haut sur sa cuisse, parfois, entre deux gorgées de vin, comme si de rien n’était.
Je n’aime pas grand monde en vérité. Pas grand monde parmi ceux qui reniflent le cou de Maman sur son passage et qui essuient leurs mains sales dans ses longs cheveux noirs. Pas grand monde parmi les hommes qui la suivent à la tombée de la nuit, à travers la forêt, ceux qui frappent à sa porte au matin avec des fleurs et des petits sourires, ceux qui disent qu’elle est belle, et si douce et gentille, un peu dans la lune c’est vrai, ceux qui la voudraient toujours avec eux tandis qu’ils sirotent à la terrasse leur mauvaise bière d’un air satisfait.


Je leur jetterais des pierres et des mauvais sorts. Je les ferais disparaître, comme ça, pour rire. Un, deux, trois.


Et puis plus rien.