Lausanne, Art&fiction, 2020, 240 p.
Voilà un livre étonnant, travail d’une fine dentellière qui croise deux récits : celui de la naissance des Alpes, avec ses « soulèvements » et ses « plaques continentales » qui dérivent, s’étend sur des millions d’années ; celui d’une randonnée dans les Alpes dure à peine neuf jours. Une citadine se lance un défi et s’improvise montagnarde. Rebelle à la discipline d’un groupe de randonneurs, la protagoniste ressemble beaucoup à Laurence Boissier. Elle s’avoue « autrice », retrouve dans ses souvenirs l’origine d’une relation difficile avec la montagne et finit par casser tous les stéréotypes de la littérature alpestre : les cabanes ne sont guère ces lieux de convivialité souvent célébrés : au pique-nique, on consomme du chicken tikka masala dont les aliments sont empilés dans un sachet ; dans les cabanes au confort spartiate, il est difficile de trouver le sommeil et dans la marche, loin s’en faut que tous tirent à la même corde…
Sur un ton badin et parfois grotesque se joue un acte tragique : l’homme dans sa petitesse réfléchit à la place dérisoire qu’il occupe dans l’histoire de l’humanité. Un personnage attachant, peu à peu familier, Drops, petit nom du protoclepsydrops, ce grand lézard disparu, nous fait réfléchir à la « grande mort » et à l’extinction de masse. Et on pense au roman de Ramuz : Si le soleil ne revenait pas…
Cette tension entre le comique et le tragique est propice à une mise en mots et en musique. C’est ce qu’a fait avec talent la compagnie Perlamusica dans une mise en scène réussie pour les pique-nique littéraires estivaux de La Médiathèque Valais.
Recension par Pierre-François Mettan