Agnes et Leonard Agnes Furey et Leonard Scovens

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Un parcours de justice restaurative

 

Olivétan, édition Ouverture

 

Agnes Furey, infirmière spécialisée dans le traitement des addictions, a assisté pendant des années la police de Tallahassee dans l’aide aux victimes. Puis un jour de 1998, sa fille et son petit-fils sont assassinés par Leonard Scovens, un toxicomane sous emprise du crack. Pour ne pas mourir et pour se rétablir, Agnes décide d’écrire à Leonard afin de comprendre son geste. S’ensuit alors une correspondance qui va durer de longues années. Avec le temps, ils fondent en Floride une association de « justice restaurative » dans laquelle « le processus commence par une personne qui tend la main à une autre ». C’est exactement ce qu’a fait Agnes en tendant la main à Leonard.

 

Dans ce livre, les auteurs sont aussi acteurs du récit, et racontent leur cheminement l’un vers l’autre pour se reconstruire.

 

C’est un témoignage poignant réunissant deux êtres totalement opposés, une femme dans la soixantaine, pleine d’amour pour les siens et de compassion pour ses patients, et un jeune homme maltraité dans l’enfance qui tombe dans les griffes de la drogue. Deux êtres blessés au plus profond d’eux-mêmes, cœur, chair et esprit broyés par l’horreur, luttant contre leurs propres souffrances. C’est une correspondance incroyablement émouvante entre une victime et son agresseur, un livre époustouflant d’humanité au milieu de drames terribles et destructeurs.

 

Le langage peut être brutal lorsque Leonard décrit son vécu, mais devient plus modéré et apaisé au fil des pages. Quant à Agnes, malgré sa colère et la violence de sa douleur, elle choisit des mots de paix, de douceur et de guérison. Les narrateurs de ce récit sont attachants de par la sincérité de leurs propos, et ils interpellent le lecteur en remettant en question l’approche juridique de la justice. Comprendre les raisons profondes d’un acte, qu’il soit bon ou ignoble, ferait-il toute la différence ? 

 

Recension Marylène Rittiner

 

 

 

Extraits : p.112-113-114 

 

 

[…] Elle m’a dit : « Tu n’es pas un meurtrier. Tu es un homme qui a tué. Et ce n’est pas la même chose. » Avec ces paroles écrites au plus profond de notre correspondance, Agnes a banni la soif persistante de mort qui me hantait depuis des années. Elle ne m’avait pas écrit pour me blâmer. Et pas non plus pour me sauver. Après coup, j’ai appris qu’elle m’avait contacté pour apprendre à me connaître, de sorte qu’elle puisse trouver un sens à cette tragédie qui avait dévasté nos deux vies.

[…]

Le chagrin peut être une expérience difficile, destructrice. Lorsque le meurtrier d’un être aimé tente d’expliquer son geste, cela lui enlève sa part d’humanité. Admettre que ce meurtrier est un homme ou une femme qui a aimé, qui a été blessé, qui a rêvé et qui a pleuré, enlève la colère de la survivante, qui masque souvent le chagrin.

 

Agnes n’a pas commis cette erreur. Peut-être qu’au début elle a été blessée plus qu’elle ne le pensait par la violence sauvage de son chagrin. Si elle n’avait pas mis l’accent sur cette violence, sa colère aurait été cachée, elle n’aurait eu aucune place où la mettre, si ce n’est en elle-même. En me contactant, c’était une manière pour elle de prendre part au processus lui permettant de mettre fin à cette colère, en créant un espace permettant davantage de guérison, davantage de transformation.

 

Le fait de partager notre blessure et nos expériences n’a pas automatiquement sorti Agnes de son chagrin, ni moi de ma honte. Mais ça nous a permis de grandir dans la conscience de ce que nous étions, et ça nous a conduits à un rapport plus profond avec ce que nous avions ressenti et appris.

 

Elle était hantée par des questions dont j’étais le seul à détenir les réponses.

 

L’immensité de ma honte, que j’avais cachée derrière un voile de silence, ne pouvait être soulagée que par le fait de lui en parler. Et c’est ainsi que nous nous sommes rentrés dedans, comme des nuages. En déversant nos pensées et nos émotions par le biais de l’encre, dont nous couvrions des centaines de lettres.