Valérie Debieux, Le Fil d'Adèle

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La lecture fait partie de ma vie. Lire représente à mes yeux une source de richesses infinies, que ce soit sur le fond ou sur la forme. Entrer dans un livre, c’est ouvrir une porte sur une époque et des lieux que hantent des hommes et des femmes avec leurs sentiments et leur mode de pensée. S’adonner à la lecture, c’est également s’intéresser à l’autre, essayer de le comprendre et de percevoir le monde à travers son regard. Parcourir un ouvrage, c’est aussi partir à la découverte des idées d’autrui et s’interroger sur soi-même. S’immerger dans la lecture, c’est apprécier avec bonheur la beauté d’une langue, celle de la langue française avec la variété de ses mots, la finesse de son vocabulaire et la mélodie qui s’en dégage. Cette nécessité de lire m’a incitée à devenir bibliothécaire, et au fil des ans, l’amour pour les livres et la littérature m’a ouvert la voie de l’écriture. Trois romans ont vu le jour.

 

 

 

Le fil d'Adèle
 

 

Elle est toute menue. Toute fine. Un poids plume. Elle porte de grosses lunettes. Elle a de beaux yeux. Couleur noisette. Ses yeux pétillent derrière ses binocles. Ils parlent, ses yeux. Oui. Même l’ophtalmo l’a fait remarquer. Elle voit tout Adèle. Même l’invisible. Elle a six ans. Elle est mignonne. Elle a de belles boucles brunes. Elle sourit toujours. Adèle. Un vrai rayon de soleil.

Sa maman l’a emmenée dans son parc préféré. Le Parc Monceau. Il est tôt. Elles attendent devant la grille. Elles aiment y venir de bonne heure. Toutes les deux. Adèle passe beaucoup de temps ici avec sa maman. Parfois toute la journée. Et ce matin. Elle est joyeuse. Elle porte toujours un petit livre sous le bras. Une petite valise rouge cartonnée à la main. Adèle est très timide. Elle ne parle pas beaucoup. Elle regarde. Elle observe. Installée sur le même banc. Oui. Chaque jour le même. Une habitude. Puis. Elle ouvre sa petite valise. Et. Elle sort sa grande trousse de crayons. Ses feuilles de papier vierges. Et puis. Elle réalise croquis sur croquis. Elle observe beaucoup. Elle dessine les amoureux avec un large sourire. Adèle est rêveuse. Elle aime «son» parc par tous les temps. Eté comme hiver. Et puis. Adèle aime les contes. Elle parle peu. Et surtout. Elle ne fait jamais de sieste. Mais. Ce jour-là. Alors qu’elle est en train de dessiner une fée, Adèle entre dans le parc des rêves. Tout autour d’elle, des attractions. La grande roue. Les manèges aux chevaux de bois. Tout y est. Même un glacier confiseur. Le jeune homme l’interpelle. Il lui fait un magnifique sourire. Elle s’arrête. Une multitude d’arômes. Elle ne sait lequel choisir. Adèle attrape la glace qui lui est offerte. Nougat mandarine. Son parfum préféré. Elle remercie. Puis. Elle poursuit sa route. Et là. Une maison de pains d’épices. La porte est entrouverte. Un parfum de miel et d’amande se faufile au dehors. Sa curiosité la pousse à l’intérieur. Personne. Elle regarde. Rien. Elle appelle. Pas de réponse. Elle fait quelques pas. Soudain. Un monsieur sans âge apparaît. Elle sursaute. Il la regarde. Ses yeux bleus lui lancent un sourire empli de douceur. Derrière lui. Plein de petits tiroirs. Des étiquettes sur chacun d’eux. Il y en a des milliers et des milliers. Et sur le sol. Des bouts de fil. Tous de la même couleur blanche et de la même longueur. Elle l’observe. A chaque bout de fil, une bobine. Soudain. Il glisse sa main dans sa poche et en sort un long bout de fil rose. Il l’enroule sur une bobine. Puis. Il la lui tend.
- Tiens, Adèle, prends-la. Je l’ai faite pour toi…
- Mais comment connaissez-vous mon prénom ?
- Oh ça, ce n’est pas important. Pour l’heure, garde précieusement cette bobine. Elle t’est destinée. Toute ta vie s’y trouve. Passé, présent et futur. C’est le cadeau que je te fais.

Adèle n’a pas le temps de le remercier qu’une voix l’extrait de ses rêves.
- Adèle. Il faut partir. C’est l’heure, mon ange. Le parc va fermer. Tu dormais si bien que je n’ai pas voulu te déranger. Tu avais l’air si sereine ! Allez prends tes affaires. On reviendra demain si tu veux…

Adèle rassemble ses crayons, les glisse dans sa grande trousse et range ses feuilles de papier dans sa petite valise. Elle quitte le banc. Une main enserrant celle de sa maman, l’autre la poignée de sa valise. Soudain. Elle remarque que la poche de sa veste est déformée. Elle s’arrête. Puis. Hésitante, sa main se glisse à l’intérieur de la poche. Ses doigts tout fragiles et fins en sortent une bobine. Une belle bobine de fil rose. Elle regarde «sa» bobine. Elle sourit…

Une quinzaine d’années plus tard…

Adèle revient au Parc Monceau.
L’enfant est devenue une belle jeune femme.
Elle s’installe sur le banc, «son» banc.
Quelque chose glisse de sa poche. Sa bobine de fil.
Elle court sur le gravier.
Adèle n’a pas le temps de la rattraper.
Une personne s’est déjà penchée sur le sol pour arrêter la course de la bobine.
Elle se relève et se rapproche d’Adèle.

Adèle sursaute.
C’est un monsieur sans âge. Il la regarde. Ses yeux bleus lui lancent un sourire empli de douceur.
- C’est à vous…


@Valérie DEBIEUX 2007

 

Valérie Debieux est la créatrice de la Galerie Littéraire.  En savoir plus...