Olivier Papaux

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Dès son adolescence, Olivier Papaux se découvre une passion pour les arts et par-dessus tout pour le théâtre. Il s’est formé au Conservatoire de musique de Genève et au Théâtre de Carouge. Parallèlement à son parcours artistique, il poursuit ses études et devient enseignant.  Suite à la publication de son premier roman Les enfants de la baie, qui a fait partie de la Sélection Lettres Frontière 2020, l'auteur résidant en Valais poursuit son aventure littéraire avec L’homme tournesol.

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Ecrire, la liberté parfois au prix de la solitude

 

Je me suis demandé ce qui motive mon écriture. J’ai tenté d’apporter une réponse dans mon deuxième roman, L’homme tournesol : « […] grâce à l’écriture, je me contente de récupérer le meilleur de notre Terre. Je lui soustrais sa laideur pour en révéler son véritable éclat. La vie ne vaut la peine d’être vécue que pour ses instants fugaces, un parfum de résine, le chant d’un bouvreuil, la fraîcheur de la mousse que j’enferme jalousement dans des bocaux avant d’en libérer leur saveur dans l’humidité de l’encre entre les fibres de papier. Je collectionne des petits bonheurs. » (p. 140)

 

J’ai commencé très jeune par la poésie et le théâtre. J’avais tenté l’expérience de deux publications à compte d’auteur avant de publier en 2019 mon premier roman aux Editions Encre fraîche à Genève.

 

J’ai adoré le théâtre. J’aurais rêvé devenir réalisateur de cinéma. Mais de tous les arts, je n’ai jamais autant éprouvé ce sentiment, la liberté, que dans l'écriture avec pour seules contraintes du papier, un stylo. La liberté, oui, et parfois une effroyable solitude. Ecrire, c’est mettre en scène, seul, des personnages sortis tout droit de mon esprit, réaliser des images, donner à voir, à sentir avec des mots. Que des mots ! Rien d’autre ! Dans un vide immense.

 

Dans Les enfants de la baie, mon premier roman, je me suis mis en écriture à travers mon personnage narrateur, Jul Jarson. Les paysages d’Ecosse et plus précisément de l’île d’Islay m’ont donné l’envie d’investir des territoires qui avaient heurté ma sensibilité à l'occasion d'un séjour. Et pour me croire moins seul, j'ai engagé un dialogue intime avec les ombres des auteurs qui continuent de me nourrir : Flaubert, Proust, Duras, pour n’en citer que quelques-uns.

 

A écouter leur écho tout au fond de moi-même, je me suis retrouvé en tension entre la phrase brève ou étirée, entre l'ellipse ou la plénitude, entre la rupture ou la fluidité de l'écriture. Mais quoi qu'il en soit, changer le rythme, surprendre, varier et choisir le mot juste, voilà ce qui gouverne ma plume.

 

Sur la page blanche, les landes écossaises me sont apparues soudain comme une scène de théâtre. Dans le rôle d’un dramaturge, devant l'immensité du décor qui s'offrait à moi, j'ai rasé tout ce qui fait la vie, ouvrant un monde de tous les possibles que j’ai repeuplé à coups d'encre.

 

Dans L’homme tournesol, je ne voulais pas quitter tout à fait l’Ecosse, mais la montagne et le Valais qui me sont si chers m’ont invité à un nouveau voyage. J’ai imaginé un lieu où les hommes côtoient de près la nature. Je voulais des paysages alpins aussi resplendissants que ceux qui m'avaient enchanté dans le parc naturel du Binntal en Valais. Mais je ne devais pas évoquer un lieu où des hommes pourraient se reconnaître ou me soupçonner de vouloir réveiller de vieilles rumeurs dans une vallée apparemment paisible. Il me fallait récupérer la splendeur du Binntal pour la transposer dans une vallée encore préservée de la folie des hommes : le Rappental. J'ai pointé Google Earth sur ce vallon et j'ai découvert tout au fond de moi-même le village imaginaire de Talboden. Et je m'y suis rendu un été avec, pour seule présence, un berger, ses chiens et un troupeau de moutons.

 

Je me suis souvenu des villages décorés et pittoresques qui ont émerveillé mes yeux d’enfant.

 

Ils enferment au-delà de leurs apparences accueillantes des non-dits, de la cruauté, à l'instar d'une Suisse qui se voudrait irréprochable.

 

Je suis parti de deux faits divers qui avaient retenu mon attention : un incendie dans une vallée dont l’enquête de police n’avait pas permis au moment de la parution de l’article d’identifier son auteur et la découverte de deux corps sur le glacier de Tsanfleuron dans le massif des Diablerets. Et je me suis demandé quels secrets les glaciers emprisonnent aujourd’hui dans leur chair amaigrie.

 

J’ai voulu évoquer des thématiques actuelles. Un peu par hasard, la crise du climat et ses effets sur le paysage alpin a rejoint en moi la cause des femmes et leur formidable pouvoir de résilience face aux maltraitances que leur infligent des hommes lâches et cruels. Là où la langue du glacier fondait a surgi la révélation de violences étouffées.

 

Dans ce deuxième roman, Jul Jarson n’a pas fini d’en découdre avec l’absence de son père qui continue de l’obséder. J’ai voulu rendre hommage à ces jeunes meurtris et révoltés en l’absence de leurs pères démissionnaires. Dans une société encore trop patriarcale, les pères de famille sont congédiés hors de la cellule familiale pour assurer un revenu. Peu importe leur présence. Et certains se dédisent volontiers de leur paternité. Il est temps de se débarrasser de ce vieux cliché.

 

Certes, dans Les Enfants de la baie, Jul a rencontré Kirsteen qui a éveillé en lui le désir d’aimer. Mais il est loin d’avoir pansé la plaie qui ne parvient pas à cicatriser depuis le départ subit de son père dans sa prime enfance.

 

J’ai voulu poursuivre mon aventure littéraire avec ce héros inachevé, à la recherche de lui-même, en quête de ce père évanescent, fantôme pourtant essentiel aux aspirations de son bonheur. Cette part de lui, réduite à l’abandon, le plonge dans les ténèbres où le ronge l’alcool malgré le succès de ses premiers romans.

 

Il lui fallait un guide, une main assez puissante pour l’extraire de l’enfer où l’enfonce un deuil irréparable. Georges Haldas, lui, le poète tourné vers la lumière du monde, m’a inspiré le personnage de l’homme tournesol. Je me suis dit qu’il fallait être aveugle pour commencer à voir les hommes tels qu’ils sont et, plus encore, tels qu’ils pourraient être.

 

J'ignore encore pour quelles raisons, les thèmes de l'identité, de la filiation, de la quête, de l'amour et de l'abandon me collent si forts à la peau. J'attache toujours de l'importance à la transformation du personnage au contact d'autres hommes et c'est peut-être l'histoire de cette transformation que je continue d'explorer tout en me frottant à une certaine actualité qui me permet de flirter, en équilibre sur le tracé de l'encre, avec la fiction et la réalité.

 

Le troisième opus est en gestation. Jul Jarson n'a pas encore ouvert la lettre de Kirsteen. J'aimerais bien connaître le contenu de cette lettre…