Écrivaine et chercheuse, Velia Ferracini a collabore à la création d’un recueil de poèmes, Les Flaques, avec l’illustrateur Archibald Gibut-Monzon (paru en juillet 2023 aux Éditions des Fleurs). Outre cette publication collective, elle a reçu en 2022 une bourse de mentorat « Littérature Pro » de l’État du Valais, qui lui a permis de travailler avec le poète valaisan Pierre-Andre? Milhit sur un roman intitulé Lave mes cendres (qui paraîtra en 2025).
Diplomée d’un Master of Arts en langues et littératures françaises et histoire, Velia Ferracini poursuit actuellement une réflexion sur la litterature helvétique par un doctorat à l’Université de Fribourg, où elle est assistante du professeur Thomas Hunkeler. Son objet d’étude est la Collection ch, dont elle cherche à saisir l’influence sur la conception d’une identité littéraire suisse plurilingue.
Très intégrée dans la scène culturelle romande, elle est membre de la SEV (Société des écrivain·e·s valaisan·ne·s), fait partie de plusieurs jurys littéraires (le Roman des Romands, Littéra Découverte, le concours littéraire des jeunes de la SEV et le Choix Goncourt de la Suisse, dont elle est désormais en charge du jury de l’Université de Fribourg) et écrit pour de nombreux médias (Décadrées, Quatrième Mur, La Liberté, L’Année du livre suisse).
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À mes yeux, écrire, c’est mettre en lumière l’invisible, relever ce qui a dû jusqu’alors rester caché et qui mérite d’être exposé. L’auteur·trice porte un devoir de représentativité, pour faire évoluer le monde qui l’entoure et c’est notamment pour cette raison qu’il a été précieux de travailler sur la transidentité et sur la condition de femme artiste dans un premier roman qui paraîtra début 2025 aux éditions Encre fraîche. Dans mon travail pour ce premier long récit, je me suis entretenue avec des personnes concernées et ai lu sur le sujet afin d’obtenir une vision globale du sujet et d’être ensuite capable de créer un personnage unique, non réel, mais représentatif du réel.
De la même manière, je travaille actuellement sur un second roman qui traite de l’avortement, un sujet peu représenté dans l’art (comme le dit d'ailleurs Annie Ernaux dans L'Évènement : « entre le moment où la fille se découvrait enceinte et celui où elle ne l'était plus, il y avait une ellipse »).
La culture se doit donc de représenter des sujets marginalisés et c'est ici un des objectifs du projet. Cette thématique est au cœur même de l'actualité (avec les réflexions permanentes des différents gouvernements mondiaux sur l’avortement) et porteur d’une certaine urgence, ce qui est également une de mes préoccupations littéraires. Je vous propose donc de découvrir un extrait du texte en construction sur cette thématique cruciale :
Louisiane, 2023
À ce moment-là, June comprend qu’elle n’y arrivera pas. Malgré l’argent réuni. Malgré la route parcourue. Malgré l’énergie investie. Le temps a joué contre elle.
Vers seize heures quinze, sur l’interstate 35, une SUV anthracite percute une moto à pleine vitesse, tuant sur le coup la conductrice de vingt-huit ans.
Vers seize heures quinze, sur l’interstate 35, le sort de June se scelle en un fragment de seconde, le rendez-vous manqué, l’espoir arrêté, le délai immuable, impossible à repousser, l’embryon incruste? violemment dans la chair.
La vie et la mort se rencontrent.
Une jeune pilote quitte injustement le monde, impactée par la conduite imprudente d’un autre qu’elle. Alors qu’à quelques mètres, un être s’inscrit irrévocablement dans le ventre d’une seconde femme n’ayant rien demandé à personne, celle qui assiste, impuissante à l’accident et qui sait que son existence est elle aussi renversée.
Soudain, elle a envie d’e?clater son corps sur la chausseée détrempée, sanguinolente, de broyer son réeel entaché par le murmure sale d’une voix fauve de désir dont elle perçoit encore le gras, par le sifflement porc des mains dévorantes dont elle sent toujours l’haleine vorace sur sa gorge. Cette empreinte violente, qu’elle avait espérée éphémère, effaçable par l’extermination des preuves, s’ancre dans son ventre. Et les aiguilles percent tout, ombragent les années à venir.
C’est délirant, elle se débat, ramassée sur son siège élimé, naufragée entre un paquet de chips entamé et une confirmation de consultation médicale portant la date du jour qu’elle étreignait précieusement dans sa paume angoisseée.
C’est délirant, elle se débat, tente de refouler la substance fœtale qui prend des proportions abyssales, la fulgurance génitale qui déforme tout ce qu’elle avait imaginée. Futur éclipse? par ce prisme parental. Délirant. Il n’y a plus rien à faire. Délirant. Elle doit accepter qu’il est désormais trop tard.
La grossesse ne sera pas interrompue, mais la vie, elle, l’est. À jamais.
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Velia Ferracini vit entre Fribourg où elle travaille et Sion où elle réside.