Sophie Meyer

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Je suis née et j’ai grandi dans le canton de Fribourg. Je vis et je travaille actuellement à Genève. L’écriture me taraude depuis une bonne quinzaine d’années. Les ateliers d’écriture suivis entre Lausanne et Genève ont été des étapes importantes dans la transformation d’un désir en objet-livre. Mon premier roman, Les Cahiers de feu, a été publié aux Editions Montsalvens en décembre 2018.

 

 

Anne Bruschweiler, animatrice des ateliers d’écriture « Le grain des mots » à Genève nous a un jour demandé quels auteurs se tenaient derrière notre épaule lorsque nous écrivions. Lors de la rédaction des Cahiers de feu, il y en a eu plusieurs, associés ou non à des textes particuliers, et parmi les plus importants et chers Jérôme Meizoz (Séismes), Christa Wolf (Trame d’enfance), Annie Ernaux, Michel Layaz (Les larmes de ma mère), Catherine Safonoff, Henry Bauchau (Journaux), Anne-Lise Grobéty.

 

 

A propos des Cahiers de feu

 

Ecrit à la première personne du singulier, ce texte part du constat qu’il n’est pas forcément possible de choisir ses sujets d’écriture. Certains fantômes nous hantent, nous réclament des comptes. Et nous finissons par céder. C’est en tout cas ce qui arrive à Anne Müller, résidant depuis des années à Genève et entretenant des contacts distants avec sa famille et sa terre d’origine, Fribourg. La petite centaine de kilomètres séparant le bout du lac du moyen pays peut sembler dérisoire. Et pourtant. Lorsque la narratrice se résout à obéir à l’appel de son frère Yvan, mort tragiquement trente ans plus tôt, et décide de revenir au pays natal, elle pressent que ce voyage va être long et la conduira à se confronter, encore une fois, à une redoutable altérité.

 

 

Extrait

 

 

« L’enfance de mon père avait été un peu plus enviable, même si son histoire familiale contenait aussi ses épisodes poignants. Mon arrière-grand-père paternel régnait sur un petit domaine agricole dans un village fribourgeois proche de la montagne. Il le cultivait avec ses cinq fils. Mais était venu le temps de la mobilisation. Les fils étaient partis aux frontières. La guerre avait ainsi volé durant plusieurs saisons les forces de travail de dix robustes bras. Bientôt il n’y eut plus assez de foin dans la grange pour nourrir le bétail. Il avait fallu vendre. Comme ses frères, le père de mon père était devenu journalier. Bûcheron durant l’hiver, armailli sur les alpages à la belle saison. Il avait fini par trouver un emploi fixe de jardinier dans un hôpital de la plaine, à Villars, où la famille s’était établie. Celle-ci n’était pas si pauvre puisque mon père, comme on disait alors, avait été envoyé aux études. Il était devenu instituteur. Puis maître d’école secondaire.

 

A la chorale paroissiale de Villars, il avait croisé le regard d’une jeune stagiaire infirmière originaire du Valais. Il en était tombé amoureux. Et après quelques temps, l’avait épousée.

 

Bienheureuse légende familiale. Malgré ses apparentes aspérités, c’est un livre tendre, qui n’attend que d’être lu. Il contient tous ces récits réveillés, rappelés et ramenés sans crainte à nos mémoires. Il se nourrit de ces anecdotes à la trame immuable qui nous fonde, nous conforte, nous arrime. 

 

Et puis un jour, un drame frappe la famille. Une déflagration se produit. C’est une explosion dévastatrice. Elle ne parvient pas à se transformer en récit. Elle ne fait pas l’objet de commémorations. L’album familial en est pourtant irrémédiablement contaminé. Il nous devient difficile de le feuilleter, et presque impossible d’en rajouter des pages. Quelque chose d’essentiel y manque, quelque chose qui devrait pourtant y être enregistré et que nous abandonnons au gouffre. »

 

Sophie Meyer, février 2019