Sandra Modiano

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L'auteure lausannoise nous parle de son parcours d'écriture, de ses sources d'inspiration, de son plaisir d'écrire...


 

C’est une découverte inattendue qui a été à l’origine de mon troisième ouvrage, Mon cher Léon. Le travail d’écriture s’est ainsi mis en place sans aucune idée préconçue.

 

Réfléchissant à ce qui est à l’origine du processus de création, l’artiste Samuel Benchetrit expliquait récemment que celui-ci vient à un moment donné « lui taper sur l’épaule ». Cette image fait écho chez moi et c’est parfois ce qui s’est passé, quand la possibilité de créer un texte s’est imposée.

 

Ce sentiment est sans doute couplé avec quelque chose d’autre qui me guide depuis longtemps : l’envie d’explorer, d’aller au devant de la nouveauté, de me mettre en mouvement. J’y vois deux éléments qui cohabitent : la conviction que je n’ai souvent rien à perdre dans la démarche d’expérimentation. Au pire, cela ne donne rien mais j’aurai essayé, cela m’aura animée et j’y aurai pris un certain plaisir. Mais peut-être est-ce aussi lié à une angoisse que ma vie soit réduite à un état de veille, d’habitudes figées, de rigidité, sans aucune possibilité de nouveauté, ni de changement. La réponse que j’ai trouvée pour   combattre cette angoisse est la possibilité de créer le mouvement, de le générer, de l’enclencher, et aussi de le saisir quand il se présente à moi de manière inopinée.

 

Quand le processus d’écriture se met en place, il implique des étapes très différentes et un travail particulier pour chacune de celles-ci. Certaines d’entre elles sont très haletantes, un peu frénétiques, d’autres plus calmes, plus retenues. J’aime beaucoup cette diversité, même si certaines de ces étapes me mettent parfois en difficulté. Mais quand un chantier est lancé, il y a un plaisir très grand dans l’activité d’écriture, quelque chose de jubilatoire. Le dénominateur commun de ces différentes phases est certainement leur caractère solitaire. Les lieux dans lesquels je m’installe pour écrire peuvent être très différents. Ils sont à la fois importants et sans importance. Je me projette dans un espace précis qui occasionne parfois un déplacement, un voyage spécifique. Cela peut être une ville, la montagne, mais aussi un café, une terrasse, le jardin d’une maison, mon bureau, mon lit. L’endroit choisi me donne sans doute confiance car sans m’en rendre compte, je m’en extrais à un moment donné, totalement capturée par mon texte. Il arrive après un certain laps de temps que je regarde autour de moi et je suis surprise de me trouver là, mais heureuse de reprendre contact avec cet espace amical, qui m’a ainsi offert cette possibilité d’un tête-à-tête avec l’écriture.

 

Le doute et la question de la légitimité viennent s’infiltrer à différents moments et je dois leur aménager un espace pour parvenir à cohabiter avec eux sans qu’ils empiètent trop sur mon mental et qu’ils entament ma motivation. Leur faire une place circonscrite, c’est tenter de les apprivoiser et d’en faire des alliés. C’est une négociation subtile que je dois renouveler régulièrement.

 

Cette question s’est précisément posée à moi en ce qui concerne l’écriture de Mon cher Léon car une partie importante du travail a été consacrée à des recherches historiques alors même que je ne suis pas historienne. Si j’ai mené cette activité d’écriture à son terme, c’est que j’ai résolu ce conflit intérieur en parvenant à me légitimer comme autrice par un récit très personnel, qui s’appuie sur des sources référencées pour ce qui est des éléments historiques apparaissant dans le texte. Enfin, il est évident que ce travail trouve aussi sa propre légitimité dans une tâche mémorielle.

 

Sandra Modiano, février 2023

 

 

Bibliographie

 

Mon cher Léon, éditions Slatkine, parution 18 avril 2023

Le premier qui voit la mer a gagné, éditions de l’Âge d’Homme, 2007

Un baby-foot pour la fin de l’année, éditions d’autre part, 2004.